L'alun, un autre mordant

L’alun, ou sulfate double de potassium et d’aluminium, est l’un des mordants les plus anciens et les plus utilisés dans la teinture des fibres textiles. Connu depuis l’Antiquité, il était déjà extrait des gisements de la Méditerranée, notamment dans les îles grecques et, plus tard, dans les carrières de Tolfa en Italie, dont l’exploitation fit la richesse des États pontificaux. Dès lors, l’alun devint une ressource stratégique, recherchée par les ateliers de teinture d’Europe comme par ceux d’Orient, au même titre que les épices ou la soie.

 

Dans les traditions textiles d’Asie du Sud, et plus particulièrement dans la fabrication des tissus ajrak et kalamkari, l’alun joue un rôle essentiel. Le coton, fibre lisse et peu réactive, n’a que peu d’affinité avec les colorants végétaux. Pour le rendre apte à recevoir la couleur, les artisans l’imprègnent d’abord de tanins végétaux, extraits par exemple du myrobolan. Ces tanins apportent à la fibre des groupements chimiques capables d’interagir avec les sels métalliques. Vient ensuite l’étape du mordançage à l’alun : les ions d’aluminium se lient aux tanins fixés sur le coton et forment un réseau de points d’accroche. Lorsque les pigments naturels sont appliqués, ils se fixent sur ce réseau par des liaisons solides et durables.

 


Le mordançage à l’alun est une étape minutieuse. Les étoffes sont immergées à plusieurs reprises dans une solution d’alun, puis soigneusement rincées pour éliminer l’excédent. Dans certaines pratiques traditionnelles, les artisans frappent même les tissus sur de grandes pierres plates. Ce geste permet de chasser l’excès d’alun, car un surplus, s’il reste dans les fibres, peut à long terme les fragiliser ou les rendre plus rigides.

 

Ce mécanisme confère aux couleurs une intensité et une résistance incomparables. Il permet également de moduler les teintes : selon le mordant utilisé en complément (fer, cuivre, étain), les nuances varient du sombre profond aux verts lumineux.

C’est ce procédé ingénieux — l’alliance des tanins et de l’alun — qui permet aux tissus traditionnels comme les ajrak de conserver des teintes profondes et durables. Grâce à ce savoir-faire, transmis depuis des générations, ces étoffes ne sont pas seulement belles à l’œil : elles témoignent aussi d’une longue histoire où se rejoignent la chimie naturelle et l’art du textile.