Le roucou ou la couleur orange

Avec l’alun, les graines de roucou donnent des couleurs dans des tons orangés éclatants.
Avec l’alun, les graines de roucou donnent des couleurs dans des tons orangés éclatants.

La Bixa orellana, plus connue sous le nom de roucou, rocouyer ou annatto, est un arbuste originaire des régions tropicales d’Amérique. Ses fruits hérissés de piquants renferment de petites graines enrobées d’une pulpe cireuse rouge orangé, riche en bixine et en nor-bixine, deux pigments naturels de la famille des caroténoïdes.

Dans l’art de la teinture textile, et en particulier sur le coton, le rocou offre une palette lumineuse allant du jaune doré à l’orange vif, parfois nuancée de reflets rougeâtres. Les graines sont mises à tremper ou à bouillir afin d’en libérer la coloration, puis la décoction sert de bain pour les étoffes. Toutefois, les fibres cellulosiques comme le coton retiennent difficilement la bixine : l’emploi d’un mordant devient alors indispensable. Avec l’alun, on obtient des tons orangés éclatants, tandis que le fer assombrit la couleur vers des bruns rougeâtres. Un traitement préalable au tanin, par exemple avec le myrobolan, améliore encore l’adhérence du pigment. Malgré ces précautions, les teintes du rocou demeurent fragiles : elles résistent mal à la lumière et aux lavages, mais elles offrent un éclat immédiat d’une intensité rare.

Dans l’univers des étoffes ajrak, le rocou n’a pas le statut central de l’indigo ou de la garance, mais il joue un rôle complémentaire. Sa couleur solaire et vibrante enrichit certaines compositions, en apportant une chaleur qui dialogue avec les rouges profonds et les bleus intenses. Cette présence lumineuse renvoie symboliquement au feu et au soleil, sources de vitalité et de mouvement. L’orange du rocou est une couleur de transition, située entre la stabilité du rouge et l’énergie du jaune : elle incarne la force vitale en action, le passage d’un état à l’autre, comme une respiration entre terre et ciel.

Ainsi, même si sa fragilité limite ses usages, le rocou reste précieux dans la tradition textile. Il illustre parfaitement la logique de l’ajrak : une alchimie subtile où chaque plante, même éphémère, contribue à l’équilibre d’ensemble. Sa lumière, brève mais éclatante, fait vibrer le tissu comme un reflet du soleil couchant sur la surface d’une étoffe.

Le roucou dans l'art culinaire et médical.

Le roucou n’est pas seulement une plante tinctoriale. Ses graines écarlates ont trouvé leur place dans deux domaines essentiels de la vie humaine : la cuisine et la médecine.

Dans l’art culinaire, le rocou est avant tout recherché pour sa couleur. La fine pellicule qui enveloppe ses graines libère, à la cuisson ou par macération, une teinte chaude allant de l’orange au rouge, qui ensoleille les préparations. Dans les cuisines d’Amérique latine, des Caraïbes ou d’Asie, on prépare une huile ou une pâte de rocou qui colore riz, sauces, viandes et poissons. Par sa chaleur visuelle, il ouvre l’appétit et transforme le plat le plus simple en mets vibrant. En Europe, il a pris place dans l’industrie alimentaire sous le nom de colorant E160b : c’est lui qui donne aux fromages comme la mimolette ou le cheddar leur robe orangée, ou encore aux beurres et margarines une nuance dorée. Bien plus qu’un pigment, le rocou confère aux aliments une dimension de fête, une touche solaire.

 Dans l’art médical, son rôle est tout aussi singulier. Chez de nombreux peuples d’Amazonie, les graines écrasées servaient non seulement à peindre le corps mais aussi à protéger la peau du soleil et des insectes. Appliqué en pâte, le rocou devenait une seconde peau rouge, à la fois parure et bouclier. En usage interne, les décoctions de graines ou de feuilles étaient administrées contre les maux d’estomac, la fièvre ou les inflammations légères. En usage externe, on l’appliquait sur les brûlures ou les irritations pour favoriser la cicatrisation. Aujourd’hui, on reconnaît à la bixine et à la nor-bixine, ses principaux caroténoïdes, des propriétés antioxydantes qui renforcent ces savoirs anciens.

Ainsi, le rocou illustre à merveille le lien intime entre couleur, nourriture et soin. Ce qui sert à embellir un tissu peut aussi embellir un plat, et protéger un corps. Dans ses graines écarlates se cache une énergie solaire multiple : elle nourrit, elle soigne, elle éclaire.